Du Poète à l'Aventurier
Arthur Rimbaud en septembre-octobre 1871 par Carjat
Arthur Rimbaud en septembre-octobre 1871
2ème photographie d'Etienne Carjat
 
"Ce Passant Considérable"

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"Éclat, lui, d'un météore, allumé sans motif autre que sa présence, issu seul et s'éteignant. Tout, certes, aurait existé, depuis, sans ce passant considérable, comme aucune circonstance littéraire vraiment n'y prépara : le cas personnel demeure, avec force."

"...celui, qui rejette des rêves, par sa faute où la leur, et s'opère, vivant, de la poésie, ultérieurement ne sait trouver que loin, très loin, un état nouveau. L'oubli comprend l'espace du désert ou de la mer."

Stéphane Mallarmé : lettre à M. Harrison, Rhodes. "Arthur Rimbaud", Revue The Chap Book, 15 mai 1895 et Divagations, 1897

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Le 13 février 1875, il part pour Stuttgart, en tant que précepteur, après avoir étudié l'allemand quelques semaines. Le 2 mars, il y est rejoint par Verlaine qui vient de sortir de prison et qui est en pleine crise d'exaltation religieuse.
"Verlaine est arrivé ici l'autre jour, un chapelet aux pinces" écrit-il à Delahaye le 5 mars. "Trois heures après, on avait renié son dieu et fait saigné les 98 plaies de N.S. Il est resté deux jours et demi fort raisonnable et sur ma remonstration s'en est retourné à Paris".
Rimbaud lui confie le manuscrit des Illuminations pour le faire éditer. Ils ne se reverront jamais plus. Arthur se trouve à cours d'argent et demande une aide financière à Verlaine par courrier. Celui-ci refuse catégoriquement. Arthur lui répond par une lettre d'injures et cesse toute correspondance avec lui. Verlaine continuera pourtant à s'intéresser au sort de son ami, envoyant des courriers restés sans réponse et recevant des nouvelles par l'intermédiaire de Delahaye ou Nouveau, leurs amis communs.

Début mai, Arthur quitte Stuttgart pour l'Italie, à pied. Épuisé, il tombe malade et passe un mois à Milan chez une veuve, et repart en juin vers le sud. Victime d'une insolation, il est rapatrié à Marseille par le consul de France à Livourne.
De là, il regagne Paris, où il travaille comme répétiteur, puis revient à Charleville début octobre. Il passe l'hiver à étudier les langues, notamment le russe et l'arabe, puis se passionne pour la musique, et le piano.
Le 18 décembre, Vitalie, sa soeur préférée meurt d'une synovite tuberculeuse. Très affecté, il se rase la tête en signe de deuil.

Au printemps 1876, il se met en route pour Vienne et à peine arrivé, est dévalisé par un cocher. Sans le sou, il est reconduit à la frontière par la police et revient à pied à Charleville.

Dargnières nouvelles. Rimbaud détroussé à Vienne, dessin de Paul Verlaine
Rimbaud détroussé à Vienne, dessin de Paul Verlaine
Collection Musée Rimbaud, Charleville

Dargnières nouvelles
C'est pas injuss' d'se voir dans un' pareill' situate ?
Et pas la queu' d'un pauv' Keretzer sous la patte !
J'arrive à Vienne avec les meyeurs intentions
(sans compter que j'compt' sur des brevets d'invention).
En arrêvant j'me coll' quequ'Fanta comm' de jusse.
Bon ! V'la qu'un cocher d'fiac m'vol tout, c'est pas injusse ?
Voui, m'fait tout jusqu'à ma limace et mon grimpant
Et m'plant' là dans Strass' par un froid pas foutant.
Non ! vrai, pour un début en v'la-t-y un d'triomphe !
Ah ! la sal' bête ! Encor plus pir' que la daromphe !
F. Cée
En marge : L'accent parisiano-ardennais desideratur

En mai, il traverse la Belgique et va s'enrôler dans l'armée coloniale hollandaise. Arrivé à Batavia en juillet, il déserte 3 semaines plus tard et revient en Europe sur un bateau écossais.
De retour à Charleville en décembre, il y passe l'hiver, puis repart vers le nord : Cologne, Brême. On le retrouve travaillant comme interprète dans un cirque en tournée au Danemark et en Norvège. Il essaie de s'engager dans la marine américaine.

À l'automne, il passe par Charleville et va s'embarquer à Marseille pour Alexandrie, mais malade, il est évacué à l'hôpital. Après un mois passé à Rome, il retourne à Charleville.

En 1878, il est vu à Paris au moment de Pâques, puis aide sa famille aux travaux de la ferme, durant l'été.

En octobre, il repart à pied, traverse le Saint-Gothard dans la neige, et de Gênes, prend le bateau pour Alexandrie.

Le 16 décembre, il est à Chypre, chef d'équipe dans une carrière de pierre à Lanarka. Six mois plus tard, atteint de typhoïde, il revient se faire soigner à Roche.

À l'automne 1879, faux départ. À Marseille, fiévreux, il rebrousse chemin et retourne à Roche. Delahaye, qui lui rend visite, raconte :
"Je ne reconnus d'abord que ses yeux si extraordinairement beaux ! - à l'iris bleu clair entouré d'un anneau plus foncé, couleur pervenche. Les joues, autrefois rondes, s'étaient creusées, équarries, durcies. La fraîche carnation d'enfant anglais qu'il conserva longtemps avait fait place dans cet intervalle de deux années au teint sombre d'un Kabyle, et sur cette peau brune frisottait, nouveauté qui m'égaya, une barbe blond-fauve qui s'était fait attendre - il allait avoir vingt-cinq ans - comme il arrive, croit-on, aux gens de forte race. Autre signe de pleine virilité physique, sa voix perdant le timbre nerveux, quelque peu enfantin, que j'avais connu jusqu'alors, était devenue grave, profonde, imprégnée d'énergie calme."[...]
"Le soir, après dîner, je me risquais à lui demander s'il pensait toujours... à la littérature. Il eut alors, en secouant la tête, un petit rire mi-amusé, mi-agacé, comme si je lui eusse dit : "Est-ce que tu joues encore au cerceau ?" et répondit simplement : "Je ne m'occupe plus de çà".
Cet hiver dans les Ardennes lui est très pénible, il ne supporte plus le froid.

En mars 1880, il regagne Chypre où il surveille la construction de la résidence du gouverneur. Puis il travaille dans une autre carrière de pierre.
Au début août, il arrive à Aden et signe un contrat avec l'agence d'import-export Bardey et Cie.
Il est chef de l'atelier de tri du café. Trois mois plus tard, il est affecté à la nouvelle succursale de Bardey, à Harar, en Abyssinie.
En mai 1881, il contracte la syphilis. Alfred Bardey, qui est venu visiter la nouvelle agence, l'aide à se soigner.


Pendant dix ans, il va circuler entre Aden et Harar, faire du commerce, sillonner le pays à pied, à cheval, seul ou avec des caravanes. Il parle l'arabe et apprend les langues locales. Il se fond dans la population.

Il trouve Aden affreux, c'est un roc sans un brin d'herbe ni une goutte d'eau bonne : on boit de l'eau de mer distillée. La chaleur y est excessive et tout est très cher. Par contre, il est beaucoup mieux au Harar où il y a bien plus d'air et de verdure.

 
La malle de Rimbaud
La malle de Rimbaud

Rimbaud autoportrait de 1883
"Ceci est seulement pour rappeler
ma figure et vous donner une idée
des paysages d'ici"
 

Isolé, il renoue avec sa famille, son seul point d'attache en Europe. La majeure partie de ses lettres s'adresse à sa mère et à sa soeur. Il leur confie une partie de ses économies. Il a des projets : nouveaux comptoirs, expéditions, écrire un ouvrage sur le Harar ou le pays Gallas. Il commande un appareil photo. Il lit beaucoup d'ouvrages techniques et s'intéresse au Coran.

Mais il s'ennuie : "[...] Pour moi, je regrette de ne pas être marié et avoir une famille. Mais à présent je suis condamné à errer, attaché à une entreprise lointaine, et tous les jours je perds le goût pour le climat et les manières de vivre, et même la langue de l'Europe. Hélas ! à quoi servent ces allées et venues, et ces fatigues et ces aventures chez des races étranges, et ces langues dont on se remplit la mémoire, et ces peines sans nom, si je ne dois pas un jour, après quelques années, pouvoir me reposer dans un endroit qui me plaise à peu près, et trouver une famille, et avoir au moins un fils que je passe le reste de ma vie à élever à mon idée, à orner et à armer de l'instruction la plus complète possible qu'on puisse atteindre à cette époque, et que je voie devenir ingénieur renommé, un homme puissant et riche par la science ? Mais qui sait combien peuvent durer mes jours dans ces montagnes-ci ? Et je puis disparaître au milieu de ces peuplades, sans que la nouvelle en ressorte jamais [...]" (Lettre à sa famille du 6 mai 1883)

En février 1884, La Société de Géographie publie dans son bulletin le rapport écrit par Rimbaud à l'intention d'Alfred Bardey sur le pays d'Ogadine où il a organisé plusieurs expéditions. La société qui l'emploie ayant fait faillite, il ferme l'agence du Harar et revient à Aden en avril 1884, accompagné d'une Abyssinienne avec qui il vit pendant deux ans.


Puis il quitte l'agence Bardey et décide de se lancer dans le trafic d'armes, en livrant des fusils à Menelik, roi du Choa, en guerre contre l'Empereur Jean d'Abyssinie. Cette entreprise va le mobiliser d'octobre 1885 à juillet 1887, et s'avérer désastreuse. Ses associés Pierre Labatut et Paul Soleillet meurent. Le premier d'un cancer de la gorge, le second d'une congestion en pleine rue d'Aden. Il part donc seul avec la caravane. La livraison étant arrivée trop tard, il est obligé de brader les prix et de régler les dettes de Labatut.

Pendant ce temps, à Paris, on commence à parler de lui. Verlaine a publié les Poètes Maudits, avec un chapitre sur l'homme aux semelles de vent, et au début de l'été 1886, les Illuminations paraissent dans la revue la Vogue.

Fin juillet 1887, il va se reposer quelques semaines au Caire, emmenant avec lui son jeune serviteur Djami Wadaï. Un quotidien de là-bas, le "Bosphore Égyptien", publie les notes qu'il a prises durant son expédition au Choa. Le 8 octobre, il est de retour à Aden.

En mars 1888, il installe une nouvelle agence commerciale à Harar, en association avec César Tian, un négociant d'Aden. Il est devenu boutiquier, vend de la quincaillerie, fait du troc. Et s'ennuie toujours. Son meilleur ami est Alfred Ilg, ingénieur suisse, qui deviendra le Premier Ministre de Menelik.

En France, des articles paraissent à son sujet, des poèmes sont publiés, il commence à être connu et suscite la curiosité. Arthur l'apprend par la lettre qu'il reçoit d'un ancien camarade de collège, Paul Bourde. Il la conservera précieusement.

D'après les divers témoignages des gens qui l'ont connu en Afrique, c'était un homme taciturne, renfermé, insociable. Commerçant et comptable honnête, scrupuleux et méthodique, exigeant envers les autres comme pour lui-même, menant une vie très simple, presque d'ascète, aimant faire le bien autour de lui en aidant les plus défavorisés, pince-sans-rire à l'humour mordant, mais au caractère inconstant, irritable, grincheux et geignard dans ses mauvais jours.

En février 1891, une douleur au genou droit commence à l'empêcher de marcher. L'état de sa jambe ne faisant qu'empirer, il ferme l'agence. Faisant construire une civière recouverte d'une toile, il se fait transporter à dos d'homme. La traversée des 300 km de désert jusqu'au port de Zeïlah est un véritable supplice.

À Aden, le médecin de l'hôpital européen diagnostique une synovite, à un stade si avancé que l'amputation est nécessaire. Du fait de l'état d'épuisement et de sous-alimentation d'Arthur, la synovite va rapidement dégénérer en tumeur cancéreuse (carcinome). C'est aussi, héréditairement, le point faible de tous les enfants Rimbaud, puisque c'est une synovite compliquée de tuberculose qui a déjà emporté Vitalie, la jeune soeur d'Arthur, et qu'Isabelle mourra d'une affection similaire en 1922.

Il trouve la force de liquider ses affaires, et le 9 mai, reprend le bateau pour la France. Le 27 mai, il est amputé de la jambe droite à l'hôpital de la Conception à Marseille. Sa mère le rejoint, puis repart. Arthur est désespéré de ce départ trop brutal qu'il ne comprend pas.

Il tente de réapprendre à marcher avec des béquilles, puis une jambe de bois. Pour ce grand marcheur, c'est une pénitence sans fin. Sa soeur devient la seule confidente de son désespoir :
"[...] Je recommence donc à béquiller. Quel ennui, quelle fatigue quelle tristesse en pensant à tous mes anciens voyages, et comme j'étais actif il y a seulement 5 mois ! Où sont les courses à travers les monts, les cavalcades, les promenades, les déserts, les rivières et les mers ? Et à présent l'existence de cul-de-jatte. Car je commence à comprendre que les béquilles, jambes de bois et jambes mécaniques sont un tas de blagues et qu'on arrive avec tout cela qu'à se traîner misérablement sans pouvoir jamais rien faire. Et moi qui justement avait décidé de rentrer en France cet été pour me marier ! Adieu mariage, adieu famille, adieu avenir ! Ma vie est passée, je ne suis qu'un tronçon immobile [...]" (Lettre à sa soeur Isabelle du 10 juillet 1891).


Le 23 juillet, il retourne à Roche en wagon spécial, soigné par sa soeur Isabelle. Un mois plus tard, il repart à Marseille avec elle en pensant être mieux soigné. À sa descente du train il est transporté à l'hôpital. Le cancer s'est généralisé. Son état ne faisant qu'empirer, il commence à délirer. Paniqué, il demande à retourner à Harar et réclame Djami, son jeune serviteur resté là-bas.

Il meurt le 10 novembre 1891, à l'âge de 37 ans. Il est enterré à Charleville.

"[...] Mais pour vivre toujours au même lieu, je trouverai toujours cela très malheureux. Enfin, le plus probable, c'est qu'on va plutôt où l'on ne veut pas, et que l'on fait plutôt ce qu'on ne voudrait pas faire, et qu'on vit et décède tout autrement qu'on ne le voudrait jamais, sans espoir d'aucune espèce de compensation [...]" (Lettre à sa famille du 15 janvier 1885).

 
Plaque comémorative dans l'hôpital de la conception à Marseille.

Isabelle a décidé de réhabiliter son frère et raconte qu'il est mort en bon chrétien. Respectant ses dernières volontés, elle s'acquitte du legs de 750 thalaris fait à Djami. Décédé lui aussi, la donation ira à ses héritiers. Elle va s'employer, avec l'aide de son mari Paterne Berrichon (pseudonyme de Pierre-Eugène Dufour), grand admirateur de Rimbaud qu'elle épousera en 1897 après une longue correspondance, à faire publier l'oeuvre d'Arthur et des souvenirs biographiques.

Il reste de grandes incertitudes sur certaines parties de son oeuvre, les poèmes ayant été la plupart du temps écrits sur des feuilles volantes, exception faite des feuillets confiés à Demeny, où Arthur avait recopié ses premières poésies quand il était à Douai, en octobre 1870. Coexistent également plusieurs versions de certains poèmes, dans les lettres qu'il a écrites à ses amis, sans qu'on sache vraiment quelle est la version définitive. Certains, dont fait mention Verlaine dans ses écrits, sont perdus ou ont été détruits.

À Arthur Rimbaud

MORTEL, ange ET démon, autant dire : Rimbaud,
Tu mérites la prime place en ce mien livre,
Bien que tel beau grimaud t'ait traité de ribaud
Imberbe, et de monstre en herbe, et de potache ivre.

La prime place encore au temple de Mémoire
Tous les flots de l'encens, tous les accords du luth !
Et ton nom resplendissant chantera dans la gloire,
Parce que tu m'aimas ainsi qu'il le fallut.

Les femmes te verront grand jeune homme très fort,
Très beau d'une beauté paysanne et rusée,
Avec une attitude indolemment osée ;

L'histoire t'a sculpté triomphant de la mort,
Poète tout puissant et vainqueur de la vie,
Tes pieds blancs posés sur les têtes de L'Envie.

Paul Verlaine

- Tel que publié la première fois dans la revue "Le Chat Noir" le 24 août 1899.

Biographie par Catherine pour mag4.net. Tous droits réservés. Merci de lire les conditions d'utilisation.

Le Musée Rimbaud, Quai Rimbaud, dans le Vieux Moulin sur les bords de la Meuse
Le Musée Rimbaud, Quai Rimbaud, dans le Vieux Moulin sur les bords de la Meuse

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