Poesies
Trois baisers

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malignement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins.

- Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner comme un sourire
À son sein blanc, - mouche au rosier !

- Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : "Veux-tu finir !"
- La première audace permise,
Elle feignait de me punir !

- Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
- Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : "Ah ! c'est encor mieux !

Monsieur, j'ai deux mots à te dire..."
- Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser. - Elle eut un rire,
Un bon rire qui voulait bien...

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malignement, tout près, tout près.

Arthur Rimbaud

- Version publiée pour la première fois dans le journal satirique hebdomadaire "La Charge" du 13 août 1870.
- Autres versions : "Comédie en trois baisers", version du poème confié à Georges Izambard et "Première soirée", version du cahier confié à Paul Demeny.

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