Premières Proses
Invocation à Vénus

Mère des fils d'Énée, ô délices des Dieux, Délices des mortels, sous les astres des cieux, Vénus, tu peuples tout : l'onde où court le navire, Le sol fécond : par toi tout être qui respire Germe, se dresse, et voit le soleil lumineux ! Tu parais... A l'aspect de ton front radieux Disparaissent les vents et les sombres nuages : L'Océan te sourit ; fertile en beaux ouvrages, La Terre étend les fleurs suaves sous tes pieds ; Le jour brille plus pur sous les cieux azurés ! Dès qu'Avril reparaît, et, qu'enflé de jeunesse, Prêt à porter à tous une douce tendresse, Le souffle du zéphyr a forcé sa prison, Le peuple aérien annonce ta saison : L'oiseau charmé subit ton pouvoir, ô Déesse ; Le sauvage troupeau bondit dans l'herbe épaisse, Et fend l'onde à la nage, et tout être vivant, À ta grâce enchaîné, brûle en te poursuivant ! C'est toi qui, par les mers, les torrents, les montagnes, Les bois peuplés de nids et les vertes campagnes, Versant au cœur de tous l'amour cher et puissant, Les portes d'âge en âge à propager leur sang ! Le monde ne connaît, Vénus, que ton empire ! Rien ne pourrait sans toi se lever vers le jour : Nul n'inspire sans toi, ni ne ressent d'amour ! À ton divin concours dans mon œuvre j'aspire !...

A. Rimbaud
Externe au collège de Charleville
(1869.)

Æneadum genitrix, hominum divumque voluptas,
alma Venus, coeli subter labentia signa
quae mare navigerum, quae terras frugiferentis
concelebras (per te quoniam genus omne animantum
concipitur, visitque exortum lumina solis),
te, dea, te fugiunt venti, te nubila caeli
adventumque tuum, tibi suavis daedala tellus
summittit flores ; tibi rident aequora ponti,
placatumque nitet diffuso lumine coelum.
Nam simul ac species patefactast verna diei,
et, reserata, viget genitabilis aura favoni,
aeriae primum volucres te, diva, tuumque
significant initum, perculsae corda tua vi.
Inde ferae, pecudes persultant pabula laeta,
et rapidos tranant amnis ; ita capta lepore
te sequiturcupide quo quamque inducere pergis.
Denique per maria ac montis fluviosque rapacis,
frondiferasque domos avium camposque virentis,
omnibus incutiens blandum per pectora amorem,
efficis ut cupide generatim saecla propagent.
Quae quoniam rerum naturam sola gubernas,
nec sine te quicquam dias in luminis oras
exoritur, neque fit laetum neque amabile quicquam,
te sociam studeo scribendis versibus esse
quos ego de rerum natura pangere conor
Memmiadae nostro, quem tu, dea, tempore in omni
omnibus ornatum voluisti excellere rebus.

Lucrèce
De Natura rerum,
I, vv. 1-27.

- Poème de Rimbaud tiré de Lucrèce. Rimbaud, Oeuvres complètes, Classiques modernes, 1999.
- Publié dans le Moniteur de l'enseignement secondaire, spécial et classique. Bulletin officiel de l'académie de Douai, IIe année, 8, 15 avril 1870.

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